Scattered memories

Il est assis, dos contre le mur, les mains entravées par un dispositif qui ne semble guère avoir d'utilité tant son regard est vide. Son cou porte encore les traces du soldat allagois qui l'a saisi et maîtrisé. Il sent à peine le poison se dissiper peu à peu dans ses veines. Son regard est vide. Terriblement vide.

Le rêve parmi les rêves disparaît. Ume rêve à nouveau de choses et d'autres, qui n'appartiennent qu'à elle.

De nouveau, assis dans cette pièce sombre, faiblement éclairée par des veines de lumière bleue parcourant le sol. Ses mains sont toujours entravées. Mais dans son regard naît la lueur sombre de la colère, de la haine. Ses doigts sont crispés. Il a tenté de se défaire de ses chaînes, sans succès. Mais dans son regard persiste l'obstination d'en découdre.

A nouveau, les rêves d'Ume lui appartiennent.

La porte s'ouvre. Ses entraves tombent d'elles-mêmes sur le sol. Il se relève, avec lenteur, le regard rivé sur la chimère qui darde sur lui des yeux emplis d'une folie meurtrière.

Il lutte, comme il le peut, faisant appel aux éléments qu'il connaît. Mais il est faible et désarmé. La chimère finit par l'immobiliser, une patte sur l'épaule et l'autre sur le coude. Elle enfonce avec violence ses crocs dans son épaule. Sa conscience se dérobe sous le coup de la douleur.

Des rêves, à nouveau, issus du subconscient d'Ume. Puis, cette dernière vision.
Il est assis, à nouveau. Il sent la douleur l'élancer, au niveau de son épaule, alors que ses mains sont à nouveau entravées. La chimère n'est plus là. Il a été soigné, il le sent. Et malgré les longues journées et nuits de captivité, entrecoupées de périodes de sommeil et d'inconscience, il ne ressent ni la faim ni la soif.

Dans son regard danse toujours une lueur de sombre détermination.

Selm n'est pas mort. Il refuse de le croire.

"Tu as de la volonté."

Ils étaient au moins trois. Ils venaient tous seuls, se relayant, parfois le laissant seul, parfois l'observant silencieusement, souvent lui parlant. Tous anonymes, portant le masque d'Allag.

L'Elezen rive un regard noir sur l'homme masqué, qui affiche un petit sourire. Il a déjà tenté de lutter, de leur faire ravaler leurs paroles. Mais sans succès, comme en témoignaient les multiples marques présentes sur ses poignets, entravés dans son dos.

"Je t'apporte une bonne nouvelle, aujourd'hui."

Il demeure silencieux. Son regard l'aurait tué s'il l'avait pu.

"Selm est vivant."

Son coeur rate un battement, même s'il s'efforce de ne rien laisser paraître. Une lueur de méfiance danse dans son regard vairon.

"Tu ne me crois pas. Pourtant, tu devrais t'en réjouir."
"... vous m'avez menti."

L'Allagois secoue la tête, un sourire flottant toujours sur ses lèvres.

"Il t'a menti. Moi, je ne dis que la vérité. Selm est vivant. Il a de la volonté. Un peu comme toi."

Le silence persiste. Encourageant, peut-être, la naissance d'une lueur d'espoir.

"Mais il ne viendra pas. Tu connais Selm. Son expérience, son savoir, son génie... Tout cela, Allag en a besoin."

Une vision au milieu de rêves ou divagations. Une autre vient, un peu plus tard.

Ce n'est pas le même homme. Mais le masque est le même. Le regard de l'Elezen est baissé. Il tente, en vain, d'ignorer l'Allagois.

"A quoi penses-tu ?"

Il ne répond pas. Il ne leur répond que rarement.
"Selm ne viendra pas. Tu ne devrais pas espérer. Le génie qu'il est n'aurait jamais dû attarder son attention sur toi."

Le coeur de l'Elezen rate un nouveau battement, son regard se relevant. Il sent celui de l'Allagois rivé sur lui.

"Ce n'est qu'à cause de ton existence qu'il doit souffrir d'être l'un des esprits dont Allag a besoin. Avant, il n'aurait jamais questionné son allégeance. Il n'aurait jamais eu à subir ce qu'il a subi."

Un frisson d'effroi parcourt son échine.

"Que lui avez-vous fait ?"
"Rien. Il sert Allag avec ferveur."

Un sourire confiant flotte sur les lèvres de l'Allagois. Un soupçon, un doute se fraye un chemin dans son coeur. Et l'homme au masque sourit davantage.
La vision s'efface. Un autre fragment, plus tard.

"Et si c'était de ta faute ?"

L'Elezen se mord la lèvre, rivant un regard haineux sur l'homme masqué, qui vient de poser des mots sur le doute dévorant qui le taraude.

"Qui sait ? Il tient tellement à toi. Comme il tient énormément à sa science. Et toi... Qu'en est-il de toi ?"

Le silence, de plomb.

"Tu as trahi les tiens. Tu t'es battu pour l'Empire. Mais finalement... L'Empire avait-il vraiment besoin de toi ?"

L'homme s'approche, posant un genou au sol, ses doigts venant saisir sans délicatesse le menton de l'Elezen.

"Non. Cela n'aurait rien changé, que tu sois là ou non. Et pourtant, Selm souffre. De ton existence."
"Non. C'est faux..."

La voix de l'Elezen est blanche, tremblante.

"Tu connais Selm. Tu connais la vérité."

Il ouvre les doigts, relâchant le menton de l'Elezen. Il ne sourit pas. Il se lève et tourne les talons. Tel un ver, le doute est installé et ronge, insidieusement.
Une vision. Une dernière, plus tard.

" Si tu n'avais pas existé..."

L'homme masqué n'acheve pas sa phrase. Le regard de l'Elezen se fait légèrement fuyant. Il y danse toujours de la haine, mais également un autre sentiment, dirigé vers lui-même. Un sourire naît sur les lèvres de l'Allagois.

" Il est prêt."

Il lève la main, la porte s'ouvre, laissant apercevoir deux silhouettes, avant que la vision ne se dissipe, ne laissant derrière elle qu'un sentiment de honte profonde et d'excuse. Comme si Finaen s'était rendu compte que le souvenir parvenait à Ume. Et qu'il veut l'en épargner. Sans établir de contact direct avec elle.

Un rêve, parmi les rêves.
Les deux silhouettes franchissent la porte de fer, au-delà de laquelle se trouve un univers dont il ignore tout.
Alors qu'elles parviennent à hauteur de l'homme masqué, ne révélant rien d'autre que des ombres anonymes de l'Empire allagois, il sent ses entraves se défaire et tomber sur le sol. Il marque un instant d'hésitation. Suffisant pour que les deux ombres brisent la distance qui les sépare de lui et se penchent vers lui.

Il réprime un frisson, serrant les dents. Sa main fuse, ses doigts aiguisés par l'éther visant la gorge d'un deux hommes.

Un craquement sonore retentit. Celui de ses doigts brisés par la poigne de fer de l'ombre. Il laisse échapper un hurlement de douleur. Et la voix doucereuse de l'ombre.

"Tu n'es rien."

Son regard brillant de haine et de douleur se darde sur l'homme sans visage.

"Tu n'es rien sinon souffrance. Pour lui."
"Je..."

Sa voix est rauque. Ses mots sont coincées dans sa gorge. Il veut lui crier qu'il a tort. Il veut lui crier son amour. Mais seule s'impose la vision de sa moitié souffrant. A cause de lui.

Un nouveau hurlement s'élève. De rage, de désespoir. De colère contre lui-même. Il se redresse, concentrant l'éther dans sa main libre. Mais le genou de la deuxième ombre le cueille avant qu'il ne finisse son geste, percutant de plein fouet son plexus solaire, lui coupant le souffle.

Le monde autour de lui tangue, devient flou. Il n'est rattrapé que par la main impitoyable de la deuxième ombre qui se referme sur son épaule.
La douleur, lancinante,  court le long de ses doigts brisés, toujours maintenus par l'homme sans visage. Malgré tout, il rive un regard noir sur ce dernier. Serrant les dents, il tente à nouveau de se redresser.
Et des doigts glacés se posent sur sa nuque. Délivrant une décharge éthérée qui coupe court à son élan.

Son genou ploie, heurte le sol. L'étau resserré sur ses doigts se relâche, et ses doigts brisés viennent effleurer le sol. Se disputent en lui la volonté de se révolter, encore, et encore, contre ses bourreaux, et la douce tentation de se laisser sombrer dans les méandres de l'inconscience.
Mais bien assez tôt, il comprend que ce ne sont là que des choix impossibles, à son grand désarroi. Car il sent les doigts glacés de l'un des hommes saisir son bras, le tirant en arrière, dans cet océan de souffrance qui lui est délivré. L'autre maintient toujours son épaule, sa deuxième main venant entraver son poignet pour le passer derrière son dos.

Et l'homme qui lui fait face brandit entre ses doigts un cristal, d'un blanc le plus pur. L'approchant de sa tempe gauche.

Un frisson d'effroi le traverse. Il sent la puissance de l'éther qui pulse, proche de son oreille. L'effroi se peint un instant sur ses traits douloureux, et c'est avec un hurlement de désespoir qu'il concentre l'éther dans sa main encore valide, bloquée dans son dos, générant une décharge éthérée qui fait lâcher prise à l'un des hommes qui le maintient et le fait reculer de plusieurs pas. Sa main libérée vient saisir le poignet de l'homme tenant le cristal, son regard trahissant sa panique et son supplice.

L'étau sur sa nuque se resserre. Et l'éther frappe, insidieusement, la douleur se propageant dans chacun de ses nerfs, lui arrachant des larmes de souffrance. Mais sa main ne cède pas, ses doigts toujours refermés sur le poignet de l'homme. Lequel ne bronche pas et se penche en avant, soufflant à son oreille quelques mots.(edited)
"Tu n'es rien. Tu n'es rien que souffrance."

Prompt à le prouver, l'autre ombre délivre une nouvelle décharge éthérée, au bout de ses doigts, courant le long de ses nerfs. Une douleur changeante, ne semblant épargner aucune de ses fibres nerveuses, tout en l'empêchant de se laisser aller à l'inconscience.

Et le supplice continue. Pendant de longues heures.

Jusqu'à ce que ses doigts faiblissent légèrement, son étreinte se relâchant sur le poignet de l'ombre. Son regard douloureux se lève vers cette dernière, suppliant.

"Je..."

Sa voix est rauque, brisée par les hurlements de souffrance.

"Pitié..."

Ses doigts s'ouvrent dénués de force, et sa main retombe mollement, au sol. Son regard éteint se baisse, sa tête retombant également. L'une des ombres vient à nouveau saisir son bras, le tirant à nouveau vers l'arrière, tandis que les doigts fins de l'homme sans visage viennent apposer avec lenteur et méticulosité le cristal sur sa tempe.

"Je... vous en supplie..."

Un murmure brisé. Balayé par la voix impitoyable de l'homme sans visage.

"Tu n'es rien."

Ses doigts enfoncent avec force le cristal dans sa peau, lui tirant un nouveau hurlement de souffrance, cristallisant à jamais ce moment de vulnérabilité extrême, ce sentiment de honte, de culpabilité, de faiblesse, d'inutilité et de soumission.
Un rêve, parmi les rêves. Empreint de honte et d'humiliation.

Des bribes de rêve, parmi les rêves.

Il peut voir son regard vairon suivre la silhouette d'une Hyure qui s'éloigne, ses prunelles autrefois émeraude n'étant plus deux deux orbites vides éclairées d'une lumière divine. Au loin, la déesse à la peau nacrée, sa main brandissant avec légèreté une balance, entourée de ses semblables dont le regard est aussi vdie que celui de la Hyure qui se détourne de lui. Lui, seul, dont le regard demeure celui d'un simple mortel, dénué de la bénédiction des dieux.
Sa voix. Un murmure, pourtant suppliant, sa main ne souhaitant que retenir celle qui s'éloigne. "Karna."

Sa main, se refermant sur le bâton allagois, qu'on lui remet. Son regard vairon animé d'une sombre détermination.
"Je ne crois pas en la justice des dieux."
Comme s'il s'arrachait la moitié de son coeur à mains nues. Il a envie de crier. Mais n'en fait rien. Les blessures que lui a causé Ohl Lye en tentant de le retenir lui font encore mal. Mais il demeure droit et silencieux, fidèle à sa résolution.

Son regard, suivant l'envol d'un dragon massif aux écailles reflétant les feux de la guerre. Majestueux dans sa colère, il sème la colère et la destruction. Dans son esprit résonne un mot qui saigne son coeur à blanc. "Eiln." Il se retient de murmurer les quelques mots qui demanderaient le pardon. Il ne le demandera pas à ce fantôme de colère et de haine qui fend les cieux, destructeur.

Un regard échangé entre deux amants, malgré les feux de la guerre.
"Selm."

Sa volonté brisée. Son humiliation, sa culpabilité et son mépris pour lui-même cristallisés et gravés en lui, sertis dans l'or de la servitude. Etendu sur le sol d'une prison froide, il porte ses doigts douloureux à sa tempe. Il ne peut se pardonner.

Son regard partagé entre la résignation et l'espoir de rédemption, sur ceux qui l'ont tiré de son long sommeil.
"Akh Eiln. Mon destin est de trahir."
Sa voix s'élève, lasse.

Des bribes de rêves, parmi les rêves.

Une douleur sourde. La rancoeur, comme une lame acérée, qui tranche la nuit, avant de disparaître, ne laissant que le silence.


Saute.

La main de l'Elezen se referme sur le coude de la jeune femme, dont le regard céruléen se détourne de la mer, agitée de vagues, des yalms en contrebas. Un regard où se côtoient de manière presque dérangeante l'espoir et la lassitude. Sur ses lèvres se dessine un rictus du même acabit.

Saute.

« Que fais-tu ? »

La voix de l'Elezen s'élève, trahissant l'appréhension. Le sourire de la jeune femme s'élargit. Il réprime un frisson, alors que son instinct crie à ses oreilles l'anormalité de la situation.

Saute.

« L'équilibre doit être rétabli. »

Son cœur se serre. Dans son regard vairon, la peine. L'envie de croire. Et le doute. Il croyait à l'équilibre. A la justice. Lui, comme tous les autres, avaient prié.

Saute.

Il sent l'éther divin, subtil, presque imperceptible.

Saute.

Le bras de la jeune femme lui échappe. Glissant entre ses doigts tel un courant insaisissable. Son autre main ne se referme que sur le vide. Et le corps de la jeune femme, chute. Longuement. Jusqu'à disparaître dans les vagues.

Et les mots restent coincés dans sa gorge, alors que son regard étincelle de frustration et de douleur.


Il n'y a que le silence de la nuit. L'écho lointain d'une rancoeur étouffée par la résignation morbide. Avant qu'il ne reste plus rien. Un cristal et une âme retranchée en son sein, au plus profond, fuyant le moindre contact extérieur.

La lame de Karna tombe sur le sol, ses doigts s’ouvrant. Elle suit, s'affalant également. Finaen baisse son bâton et s'approche, posant un regard indéchiffrable sur la jeune femme.

"C'est fini."

Il se baisse, prenant de sa main libre l'épée de la subjuguée, avant d'esquisser un mouvement pour se retourner vers ses alliés, des soldats allagois aux côtés desquels il a combattu lors de cette dernière bataille. Mais avant qu'il ne le fasse, une flèche vient se nicher dans son omoplate droite, lui tirant un hoquet tant de surprise que de douleur. Alors qu'il tombe à genoux, au-dessus du corps de Karna, son regard, effaré, cherche dans le visage de ses compagnons d'armes une explication, une aide, un signe. Quelque chose. Il ne lit dans leurs regards que du mépris et de moquerie. Ses lèvres articulent un mot silencieux, alors qu'il sent dans ses veines courir le poison de la flèche.

"Pourquoi."

"Sauvage. Et traître à ton peuple. Tu n'as aucune place dans l'Empire."

Sa main s'ouvre, laissant échapper l'épée de Karna. Il la lève, ramenant son bâton vers lui, concentrant l'éther. Mais il n'a guère le temps d'achever son sort. Ce n'est par réflexe qu'il parvient à se relever et à faire volte-face pour esquiver le coup de pied du pugiliste allagois qui s'est rapproché de lui. Son sort cependant dissipé, il fixe son opposant dont le marque dissimule le visage. Le sien n'est que désespoir et colère. Le poing de l'Allagois le cueille au niveau du plexus solaire. Il s'effondre, sur le sol, sa main demeurant cependant refermée sur son bâton, obstinée. Son regard vairon est le reflet de cet entêtement. Il lève les yeux vers ces hommes et femmes qui le regardent de haut. Le pugiliste laisse échapper un claquement de langue agacé.

"Tu t'obstines, sauvage. Pourtant, tu n'as plus rien. Tu n'as plus aucun espoir."

Le gant de fer de l'Allagois vient se refermer sur la nuque de l'Elezen, qu'il redresse de force, le mettant à genoux, face à l'assemblée de ces hommes et femmes qui regardent, simplement, sans lever le doigt, sa déchéance. Il sent les doigts de l'Allagois s'enfoncer dans sa chair, chargés d'éther. Il sent également le poison se propager davantage dans ses veines. Sa vision se trouble, mais il s'accroche à la réalité.

L'air lui brûle la gorge, les poumons. Son regard cherche, désespéré, quelque chose chez ces hommes et femmes qui l'entourent. Il laisse échapper un gémissement, une supplication.

"Selm..."
"Il ne viendra pas. Selm est mort. Pour la gloire de l'Empire."